Épigraphie arabe : un siècle de prospections
De la pierre à la toile, un recensement issu du Thesaurus d’Épigraphie Islamique
À partir d’une base de données issue du Thesaurus d’Épigraphie Islamique, ce projet vise à l’élaboration d’une cartographie des sites épigraphiques arabes explorés jusqu’à présent, du Maroc à la péninsule arabique. Cet atlas permettra de mettre en perspective l’avancée des prospections allant de pair avec un intérêt croissant pour l’épigraphie dans le monde arabe, en lien notamment avec l’histoire coloniale et les conflits qui ont pu marquer chaque pays dans cet espace extrêmement vaste.
Une carte interactive générale reviendra sur 120 ans de prospections dans le monde arabe, tandis qu’une carte diachronique de la Jordanie illustrera la densification de ces prospections et le mouvement des villes vers des zones plus reculées (campagnes de terrain dans les steppes et les déserts), dans ce pays où l’accès à la recherche internationale est resté pratiquement ininterrompu depuis les années 1980.
Autrice
Fanny Rauwel
fanny.rauwel@etu.univ-amu.fr, Doctorante laboratoire Iremam
Ce projet s’inscrit dans le cadre de la thèse en épigraphie arabe de Fanny Rauwel, sous la direction de Frédéric Imbert (Aix-Marseille Université / IREMAM). Il s’appuie sur la base de données du Thesaurus d’Épigraphie Islamique, dont le contenu est accessible en ligne.
Depuis la mort en 1921 de l’orientaliste suisse Max van Berchem, considéré comme le fondateur de l’épigraphie arabe, des générations de chercheurs, épigraphistes, historiens et linguistes sont venus enrichir cette discipline, conduisant à un besoin régulier d’en dresser un bilan afin de mieux ancrer ses pratiques et d’en redéfinir les objectifs. Aujourd’hui, l’épigraphie constitue une spécialité à part entière, tout en continuant de participer, en tant que discipline annexe, à une réflexion plus large sur certains aspects relatifs à l’histoire, à la langue et à la culture du monde arabo-musulman.
Après l’établissement des principaux corpus urbains, et avec la sécurisation des déplacements sur les routes menant aux sites les plus isolés, en particulier dans les déserts et steppes du Proche-Orient et de la péninsule Arabique, la seconde moitié du XXe siècle a vu s’amorcer un mouvement progressif des activités épigraphiques des villes vers ces zones plus reculées, permettant de combler partiellement les interstices de la connaissance épigraphique. La production et la constitution de corpus de textes indispensables à l’élaboration du savoir épigraphique s’est poursuivie tant bien que mal, en louvoyant parfois au gré les événements locaux comme internationaux (guerres, soulèvements, révolutions, etc.) qui ont ébranlé la région durant ce siècle. Cette progression vers les périphéries, qui semble avoir commencé avec un relatif engouement pour l’épigraphie funéraire dans les années 1970-80, a néanmoins laissé certaines zones partiellement inexplorées.
Les deux premières décennies du XXIe siècle ont, quant à elles, été marquées par l’essor du numérique, tant comme outil pratique au service du chercheur que comme source de connaissance des inscriptions, à travers des publications sur internet, qu’il s’agisse d’études académiques ou de contenus simplement postés sur les blogs et les réseaux sociaux par des amateurs et mis à la disposition du grand public. À elle seule, l’équipe du Thesaurus d’Épigraphie Islamique a déjà mis en ligne, à destination de la communauté scientifique, plus de 55 000 inscriptions provenant d’Europe, d’Afrique ou d’Asie.
À l’heure des « humanités numériques », un nouveau bilan épistémologique s’avère nécessaire, portant sur un siècle passé d’activité épigraphique arabe. Il s’agit de rendre compte avec les outils actuels de son expansion géographique, en lien avec les évènements qui ont marqué le monde arabe depuis le début du XXe siècle.
Une première carte interactive présentera, pour l’ensemble du monde arabe, un état des lieux où des inscriptions arabes ont été relevées, avec deux jalons temporels. Le premier, en 1923, correspond aux premières indépendances (Égypte et Transjordanie) et suit de deux ans le décès de Max Van Berchem en 1921. Il permet de faire le point sur les débuts de la discipline, en lien avec l’histoire coloniale, notamment française et britannique. Le second, exactement cent ans plus tard en 2023, année de récupération des données du Thesaurus, donne à voir son expansion actuelle, et le chemin parcouru en un siècle.
Une carte diachronique plus détaillée, retraçant année par année les campagnes de terrain en Jordanie, pays pour lequel les données sont particulièrement nombreuses et accessibles, sera établie. L’intégration de la date de prospection, ou à défaut de publication pour chaque site, permettra de visualiser, à un instant donné, l’ensemble des sites prospectés antérieurement, et une animation proposera de visualiser cette évolution temporelle sous forme de vidéo.
Si le temps le permet, ce travail sera étendu à l’échelle de trois régions à forte densité épigraphique – l’Égypte, la Syrie historique (actuels Jordanie, Liban, Palestine/Israël et Syrie) et la Tunisie, afin d’y observer le développement des prospections en regard de leur histoire récente, et de littéralement voir les effets que les périodes d’instabilité (révolutions, conflits, etc.) ont pu produire sur les trajectoires des épigraphistes.
Ce projet reposant exclusivement sur les données issues du Thesaurus d’Épigraphie Islamique, il n’inclut pas la totalité des sites explorés, certains n’y ayant pas encore été recensés et indexés. Leur liste pourra être enrichie à la faveur de recherches complémentaires, et en particulier de séjours dans certains pays arabes. Néanmoins, l’échantillon issu du Thesaurus représentant près de 800 sites répartis sur 19 pays, il fournit déjà une base significative pour cette cartographie.